Vous me demandez pourquoi tu fais çà, pourquoi se faire du mal ? j'avais pas de réponses mais je ressentais plein de choses. Dans l'hiver je suis tombé sur l'article ci-dessous et tout y est dit. Merci, merci à Sandra d'avoir exprimer par ses bons mots tout le bonheur qu'il y a à voyager à vélo.
Pour ceux qui ont pas le temps, la version PDF à lire plus tard
Le bonheur de voyager à vélo
Voyager à bicyclette c'est, d'abord,
s'offrir le temps de voir.
Celui
d'accrocher le détail au milieu d'un tableau et d'imprimer sur sa rétine une
ribambelle de paysages.
De
photographier le vert des prés et l'or séché d'un ballot de paille. Le jaune
colza et le jaune mimosa.
Le
sable des chemins de halage et celui des cathédrales.
Les
maisons à colombages ou la peinture écaillée d'une devanture. Le grandiose
d'une statue jouxtant le repos d'un banc public. La panoplie des vaches qui
barbouillent leurs couleurs et celle des pêcheurs d'eau douce qui somnolent
leur impatience. Une farandole d'insectes, des coccinelles de bon présage et
des moutons qui s'entrelacent. Le bleu azur, le gris béton et l'orange
mandarine d'un soleil prêt à plonger.
La route
rugueuse
Le
bruit d'une route très fréquentée contre l'assourdissant silence du pâturage,
du cocon dans les oreilles, piqué par une discussion d'oiseaux.
L'exaltation
d'un badinage, des bribes d'histoires déboutonnées entre deux ronds de café,
des brèves de vie qui se racontent et se sirotent comme un refrain
d'avant-comptoir. Un verre qui sonne lourd, plusieurs verres qui sonnent creux
et la monnaie qui tinte.
Un
parcours vallonné qui fait chanter quelques vitesses, la rengaine d'une roue
libre ou le bruit sourd d'une route rugueuse qui fait murmurer tes pneus.
Les
outils endormis
Voyager
sur son vélo, c'est faire sienne l'odeur du monde. Sentir l'herbe fraîchement
coupée et la tondeuse au loin. Le pétrichor que laisse la pluie sur le bitume
brûlé, le foin des bêtes, le crin des chevaux et la bande du poulailler.
C'est
aspirer l'air de la mer après trois jours à la chercher et saliver sur des
grillades qui attendent leurs invités. C'est traverser le parfum d'un linge
étendu sur une terrasse ou celui de draps gonflés émaillant la campagne. C'est
mettre pied à terre au milieu d'un marché et être bouleversé d'épices, de pain
chaud et de poulet grillé. Et puis, retrouver, au détour d'une réparation de
fortune, d'un pneu à remplacer ou d'un boulon à resserrer, une odeur d'huile et
de poussière, celle des outils endormis dans le garage de papy.
C'est
sentir éclater sur sa langue le pétillant d'une bière trop fraîche, avoir le
palais qui découvre et tombe amoureux.
Laisser
le goût déposer son empreinte sur des souvenirs en construction. On oubliera
s'il faisait gris, s'il faisait chaud et la couleur du ciel, on retiendra le
croquant, on retiendra l'onctueux et les papilles en chavire. On se souviendra
d'un saucisson partagé sur une planche à découper, d'un café de dix heures ou
d'une pizza à quatre mains comme d'un soleil qui s'éteint, d'une église visitée
ou d'une cave consacrée. De ces petits plats devenus grands sur une nappe
quadrillée ou du quatre étoiles d'un sandwich dans une herbe de pique-nique.
D'une poignée de fruits secs, un jour de grande fatigue, de l'eau glacée des
fontaines et de la madeleine du petit Marcel.
Ouvrir
la porte
Et
puis, plus fort encore que ce chambardement des sens, poser les mains sur un
guidon, c'est se délecter du sentiment d'être vivant.
Et
parfois même, celui d'être invincible.
C'est
s'envelopper d'air frais, être bousculé de vent et consolé de soleil.
Sentir
ses fleurs de peau éclore l'une après l'autre pour te rappeler au monde.
Étendre ses émotions, s'enivrer de vitesse et se griser de descentes. Éprouver,
à la fin de la journée, le corps fourbu, le corps vidé et l'émerveillement de
l'avoir utilisé à bon escient, de lui avoir redonné vie, de lui avoir redonné
sens, de lui avoir rendu son souffle.
Être
tout à la fois, la stabilité et l'élan, l'équilibre et le mouvement.
C'est
sauter par-dessus le mur. Ouvrir en grand la porte de sa prison dorée et
s'apercevoir qu'au-dehors, les ombres qui ornaient la caverne n'existent pas.
Qu'elles n'ont jamais été.
C'est
souffler sur des promesses de confort et de sûreté, comprendre qu'elles ne sont
le centre de rien. Chahuter une sédentarité ancrée et suffocante et vivre un
retour au nomadisme comme si sa survie en dépendait. S'extraire pour quelques
jours de sa torpeur et raviver la flamme et le goût de l'aventure.
Agrandir
le périmètre
C'est
bouger, découvrir, sentir, appréhender et observer. Planter sa tente et
construire son royaume chaque soir dans un lieu différent. Se réveiller en
pleine nature comme on aurait pu le faire il y a six mille ans, ouvrir les yeux
sur du joli, les refermer sur du léger.
Défaire
les attaches et n'accorder de poids au matériel que s'il est essentiel.
Désencombrer le superflu, l'inutile et l'entrave.
Être
heureux de trois fois rien et se dire que c'est encore trop.
Parce
que la seule chose qui compte c'est d'être présent à tout, c'est d'être là sans
demi-mesure, sans faribole, sans fanfreluches.
C'est
agrandir son périmètre au-delà du raisonnable. Comprendre qu'il n'y a de
limites que si on le décide, que l'on est capable de tout et que le mouvement
s'impose à nous comme une nécessité. Qu'il est source de joie, une source
oubliée, négligée, étouffée, une source à explorer.
Partir
sur son vélo, c'est goûter au plaisir de la rencontre. Des rencontres éphémères
à la faveur d'un café ou d'une route traversée, Une rencontre saisissante qui
fait sillon, qui laisse des traces et qui apprend. L’échange de quelques mots,
les yeux surpris et la bouche ronde.
Le
partage d'un bout de chemin, d'un coin de table ou d'une place sur le canapé.
Une porte ouverte, des mains tendues et un repas improvisé. Les rires et les
sourires, des amitiés qui se dessinent sur un fond d'inattendu. Des vies qui,
sans le voyage, ne se seraient jamais croisées. Et tant pis si ça ne dure pas
et tant mieux s'il y a du rab. Oser lever le regard, ouvrir ses bras, le temps
de rien.
S'apercevoir
que l'humain est toujours là, derrière les masques et la raideur, dessous
l'enfermement et le ronron du quotidien. Qu'il est bien là et qu'il a, plus que
jamais, besoin d'entendre et de raconter.
Remettre
à demain
Rencontrer,
ça vaut franchement le déplacement. Plus encore que le nombre de kilomètres et
les paysages découverts. Rencontrer c'est forcir et s'enrichir, c'est colorier
l'itinéraire avec les crayons des autres, comme un immense château auquel
chacun ajouterait une carte. C'est agrémenter une trace de balises et
d'estampilles, c'est relier les méridiens, les parallèles pour dessiner une
carte nouvelle.
Échanger,
pour dire beaucoup ou pas grand-chose, c'est comme déposer une cerise sur le
sommet d'un gâteau. Ça ne change pas vraiment la donne ni le goût de
l'aventure, mais ça la rend jolie, gourmande, appétissante.
On
pense n'avoir besoin de rien, on sous-estime le lien, on se bourrasque et on
s'affole. Mais savoir s'arrêter pour contempler, pour respirer, pour discuter,
remettre à demain les derniers kilomètres que l'on n'aura pas eu le temps de
parcourir, c'est s'ouvrir à l'inconnu, l'inopiné et la surprise. Se rendre
disponible à tout. Parce que l'occasion ne se représentera pas, parce que
passer son chemin, c'est refuser de se laisser porter. Il suffit d'une
demi-seconde pour tout faire basculer, une demi-seconde pour repenser un peu
ses plans, pour que les prétextes s'envolent, que le « non » se transforme.
Pour
faire le choix d'empoigner sa liberté.
Le plan
d'attaque
La
liberté. Celle d'aller où bon nous semble, de renommer les étoiles et de
flancher la boussole. De prendre des déviations, de rallonger le parcours ou
d'écourter certaines étapes. Griffonner un plan d'attaque, changer d'avis ou
changer de direction. Tout effacer pour mieux recommencer. S'arrêter plusieurs
jours même si ce n'était pas prévu, escamoter un tronçon, flâner si on le
souhaite, ou rouler tête baissée. Partir tôt le matin si ça nous chante,
pousser jusqu'au voile de la nuit si l'on en a envie.
Ne
surtout rien rédiger à l'avance, jamais plus qu'un brouillon, du provisoire sur
de l'impermanence. Ne rien programmer de sûr, croquer quelques grandes lignes
et laisser l'histoire s'écrire et s'inventer. N'avoir pour seules contraintes
que des besoins élémentaires et considérer le reste comme un luxe ou un bonus.
Revoir
et questionner toutes ses priorités, faire table rase, se délester. Du poids
des mots, celui de la montre et du consumérisme ambiant. Se défaire de
l'exploit, du record, de la prouesse, parce que les nombres et la vitesse ne
veulent rien dire, parce qu'ils n'ont pas vraiment leur place dans cette vie au
ralenti.
Et
rentrer à reculons
Être
simplement à soi, être simplement soi.
Oui,
partir à vélo semble compliqué, surtout la première fois, risqué, dangereux
peut-être, et c'est vrai. Mais la fierté d'avoir osé franchir le pas vaut
toutes les peurs du monde. Celle d'avoir eu assez d'audace pour remplir ses
sacoches de minimum, pour enfourcher sa bicyclette et filer vers l'aventure. Le
courage d'abandonner ses repères, de déposer les armes et d'affronter le monde
sur un triangle d'acier.
Avec
pour seuls bagages l'envie de découverte et celle d'être surpris.
Avec
pour seule raison de suspendre le temps, d'habiller sa mémoire et de revenir
plus grand.
Voyager
à vélo, c'est, enfin, rentrer chez soi à reculons et se dire que la prochaine
fois, avant de s'élancer, on se gardera bien de tourner rond dans un carré.
Magazine200 - Hors-série n°1 – 2023 – Sandra Jacques
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